Bénin Science

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dimanche 19 juin 2011

« Dans maints domaines, la médecine traditionnelle a des avantages énormes »



Entretien avec Dr Roch A. Houngnikin, coordonnateur  du programme  national pour la Promotion de la Médecine traditionnelle 

« Dans maints domaines, la médecine traditionnelle a des avantages énormes »

Depuis quelques années, on constate un regain d’intérêt pour la médecine traditionnelle au Bénin par rapport à la médecine moderne. Dr Roch A. Houngnikin, coordonnateur du programme national pour la Promotion de la Médecine traditionnelle (Pnpmt) donne,  ici,  les raisons et parle des niveaux de collaboration entre les deux médecines. 

La nouvelle Gazette : Quelle est l’importance de la médecine traditionnelle au Bénin ?

Dans tous les villages, on a au moins un guérisseur traditionnel. Avant  la colonisation, on se prenait en charge, du point de vue de la santé. Qui le faisait ! C’est les guérisseurs traditionnels. Culturellement, c’est une médecine holistique. Lorsque le guérisseur connaît vos antécédents familiaux, il peut voir si la maladie est d’origine physique, mystique ou liée à un envoutement. 
Il  peut vous prendre en charge par rapport à ces deux aspects, alors que le médecin est incapable d’apprécier la dimension mystique. Ensuite, la matière première est à proximité. Il suffit qu’il aille derrière sa maison pour prendre la matière première médicamenteuse et faire le traitement. Dans la  médecine moderne, le malade est obligé de se rendre au centre de Santé et prendre contact avec le produit importé. Ce qui rend notre système sanitaire dépendant de l’appui extérieur. 
Aujourd’hui, lorsqu’on fait le point, il y a de plus en plus de maladies que la médecine moderne n’arrivent pas à guérir. Cette médecine qu’on pensait capable de tout  faire contre les maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension artérielle, les hépatites, le sida, le cancer, etc. Vous allez à l’hôpital, on vous donne quelques calmants et vous rentrez chez vous.
Paradoxalement, dans ces domaines, la médecine traditionnelle constitue un secteur peu exploré. Moi, je n’ai jamais appris qu’un médecin a guéri une hépatite. Mais, je connais des guérisseurs qui ont guéri des hépatites. Je n’ai pas de preuves scientifiques mais des témoignages. J’ai des malades, suivis par des médecins, qui viennent, ici, me montrer des tests réalisés avant et après les soins. Par rapport aux maladies chroniques, la médecine traditionnelle se débrouille fort mieux. En ce qui concerne les maladies dites mortelles, elle peut encore bien se débrouiller à ce niveau-là. Je connais également des tradithérapeutes qui guérissent rapidement les fractures et les traumatismes. Il y a des médecins au Bénin qui ne traitent plus les traumatismes. Quand des malades viennent à eux, ils les renvoient chez les guérisseurs traditionnels, parce qu’ils savent que la consolidation du membre se fait plus vite chez eux qu’en médecine moderne. Ils font la radiographie et suivent le traitement.
La nouvelle Gazette : Est-ce que tout est positif chez les guérisseurs traditionnels ?

Non, tout n’y est pas positif. Il est analphabète. Il ne maîtrise pas souvent les questions d’hygiène. Il peut faire le traitement à mains nus, manipuler le sang… Donc, il a besoin d’être suivi à ces niveaux.

La nouvelle Gazette : Pensez-vous que les deux médecines doivent collaborer ?

Dans maints domaines, la médecine traditionnelle a des avantages énormes. Par contre, les structures du diagnostic sont empruntées à la médecine moderne. Pour savoir que quelqu’un a le virus du sida, il faut lui faire passer le diagnostic dans un laboratoire. La médecine traditionnelle n’a pas de laboratoire. Même pour le simple paludisme,  la goutte épaisse se fait dans un laboratoire.  Quand on a des présomptions de paludisme, le diagnostic nécessaire sera fait par un médecin qualifié. 
Il y a nécessité de collaboration, et notre rôle est de la faciliter. C’est pourquoi,  nous avons développé certaines activités : la formation des guérisseurs traditionnels mais également la formation des agents de santé sur les systèmes d’éducation et de transmission de savoirs en médecine traditionnelle. Les agents de santé ne sont pas formés à cela. Les médecins ne savent pas comment fonctionne la médecine traditionnelle. Ils ont peur des guérisseurs traditionnels. Est-ce qu’ils ne vont pas nous tuer ? Nous appelons les guérisseurs qu’ils viennent former les médecins. Voilà comment cela fonctionne chez nous,  parce que le médecin doit tenir compte de la dimension mystique. Dans certains cas d’accouchement, un oiseau crie, derrière la chambre. Ce n’est pas naturel. Il y a peut-être une belle mère – c’est des réalités, vous allez dans les hôpitaux, les médecins vont vous le dire –, qui n’était pas d’accord avec ce mariage, peut vouloir compliquer l’accouchement. Le médecin doit se dire que c’est possible et savoir prendre les dispositions utiles. Le guérisseur peut aider le médecin à trouver une solution. Nous avons inauguré un centre de Santé des Fractures, à Allada.  Il y a beaucoup de niveaux de collaboration qui sont nécessaires. Notre rôle, c’est de favoriser cette collaboration par le renforcement des capacités des deux acteurs.

La nouvelle Gazette : Pourquoi la médicine traditionnelle est-elle  si importante au Bénin ?

La dimension culturelle est encore bien vivace. La dimension spirituelle est beaucoup plus développée. C’est le berceau du « vodun ». C’est une hypothèse que je formule pour montrer pourquoi la médecine traditionnelle est plus ancrée chez nous. 
Dans tout le pays, on a constaté un regain d’intérêt pour elle. Pourquoi ? D’abord, les médicaments coûtent, de plus en plus, chers. L’économie est en récession. L’Etat n’a pas les moyens d’assurer la gratuité des soins. La médecine moderne n’arrive plus à faire face à certaines maladies. Le taux de fréquentation des centres de Santé est de 30 %, ce qui veut dire que 70 % sont en dehors des structures formelles de santé. Heureusement que les guérisseurs traditionnels sont encore là. Tout n’est pas encore perdu.

La nouvelle Gazette : La dimension spirituelle est-elle la même chose que la dimension religieuse ?

C’est de façon itérative qu’on va chez le guérisseur. L’intégration,  dont on parle, est réalisée à la base. Le malade n’a pas besoin d’autorisation pour aller chez le guérisseur. Mais pourquoi va-t-on chez le guérisseur ? C’est pour éliminer la cause probable de la sorcellerie ou de l’envoûtement. Le guérisseur va chercher à savoir si la cause est naturelle ou provoquée. Dans le sud du pays, pour faire le diagnostic, il recourt au « Fâ ». C’est là où intervient l’implication de la religion dans la médecine traditionnelle. C’est l’oracle, l’art divinatoire qui détermine si c’est une maladie naturelle ou provoquée. Lorsque l’oracle est fait, il y a des cérémonies à réaliser, le rituel d’exorcisme à faire. 
Le coût de ce rituel varie selon la gravité du mal. Quand la maladie est provoquée, vous vous engagez dans un traitement purement traditionnel. Lorsqu’elle est naturelle, le guérisseur va vous orienter vers les centres de Santé, où  il vous prescrit des remèdes à base de feuilles. C’est sur ce que nous travaillons, parce qu’ils ne sont pas capables de tout faire. Lorsque le tradipraticien se sent incapable de traiter une maladie, il doit orienter le malade vers un centre de Santé. Dans certains milieux, l’infirmier vient faire le traitement chez le guérisseur. Dans la relation, la médecine moderne s’occupe du diagnostic et la médecine traditionnelle révèle la dimension spirituelle de la maladie.

Propos recueillis par Christophe D. Assogba